La Commission restreint l’accès des dispositifs médicaux chinois aux marchés publics de l’UE

Par QualitiBot
le
24 Juin. 2025 Veille gratuite

L’accès des DM chinois aux marchés publics de l’UE fait l’objet d’une attention particulière dans un contexte de tensions commerciales et de préoccupations croissantes concernant la réciprocité et l’équité d’accès aux marchés publics mondiaux.

Depuis l’entrée en vigueur de l’IPI (Instrument relatif aux marchés publics internationaux), la Commission européenne a engagé une série d’actions ciblant spécifiquement les pratiques de la Chine dans le secteur des dispositifs médicaux.

Ces démarches ont abouti à l’adoption de mesures restrictives, limitant l’accès des opérateurs économiques et des dispositifs médicaux originaires de Chine aux marchés publics européens.

Présentation de l’IPI et du principe de réciprocité

L’Instrument relatif aux marchés publics internationaux, instauré par le règlement (UE) 2022/1031, constitue le cadre permettant de réagir face aux restrictions imposées par des pays tiers à l’accès des marchés publics.

Le principe de réciprocité, au cœur de l’IPI, autorise l’UE à restreindre l’accès à ses marchés publics pour les opérateurs économiques, biens et services provenant de pays tiers qui appliquent des mesures discriminatoires ou restrictives à l’encontre des entreprises européennes.

Le champ d’application de l’IPI couvre les marchés publics dépassant certains seuils financiers : 5 M€ pour les biens et services, 15 M€ pour les travaux et concessions.

La procédure prévoit l’ouverture d’une enquête par la Commission européenne en cas de soupçon de pratiques restrictives d’un pays tiers.

Si les restrictions sont avérées et non corrigées, la Commission peut adopter des mesures correctives, telles que l’exclusion des offres ou l’ajustement de leur notation. Des exceptions existent, notamment pour certains pays en développement (liste Annexe IV du règlement UE 978/2012) et en cas d’absence d’alternative ou pour des motifs d’intérêt public (ex : santé publique).

Résumé des événements : de l’enquête aux sanctions

Ouverture de l’enquête sur la Chine (avril 2024)

Le 24 avril 2024, la Commission a publié un avis d’ouverture d’une enquête sur les mesures et pratiques de la Chine concernant l’accès au marché public des DM. Elle vise à déterminer si la Chine impose des restrictions discriminatoires aux entreprises européennes dans ce secteur. Avant l’ouverture formelle de l’enquête, la Chine a été consultée.

Publication des constats factuels (janvier 2025)

En janvier 2025, la Commission a publié les constats issus de l’enquête.

Ce rapport détaille les obstacles identifiés et évalue l’impact de ces pratiques sur l’accès des entreprises européennes au marché chinois.

Principales mesures et pratiques identifiées

  • Préférence nationale systémique : La Chine applique une politique « Buy China » qui favorise l’achat de DM Chinois au détriment des produits importés. Cette politique est soutenue par des stratégies industrielles (ex. Made in China 2025, 14e plan quinquennal) fixant des objectifs élevés de parts de marché pour les produits nationaux (70 % en 2025, 95 % en 2030 dans certains hôpitaux).
  • Cadre légal discriminatoire : L’article 10 de la loi chinoise sur les marchés publics impose une préférence générale pour les produits nationaux. L’achat de dispositifs importés est soumis à des procédures d’approbation complexes et restrictives, renforcées par des mesures locales plus strictes dans certaines provinces.
  • Pratiques d’appels d’offres : L’analyse de plus de 35 000 appels d’offres a révélé que 87 % comportaient des restrictions ou interdictions explicites pour les produits importés. La proportion d’appels d’offres interdisant explicitement les dispositifs importés a augmenté entre 2022 et 2024.
  • Manque de transparence : La majorité des appels d’offres ne publient pas les critères d’éligibilité ou les documents essentiels, rendant difficile la participation des entreprises étrangères.
  • Procédures d’achat groupé à volume élevé : Ces procédures imposent des prix très bas, favorisant les entreprises nationales soutenues par l’État. Les entreprises étrangères ne peuvent pas soutenir ces prix à long terme, ce qui limite leur accès au marché.
  • Transfert de technologie : Les produits importés ne sont favorisés que s’ils impliquent un transfert technologique au profit d’entreprises chinoises, ce qui constitue un frein supplémentaire pour les opérateurs européens.

Consultation (février 2025)

À la suite de la publication des constats, une consultation a été organisée en février 2025.

Les parties prenantes (États membres, opérateurs économiques, société civile) ont pu formuler des observations sur la proportionnalité des mesures, les éventuelles exemptions (absence d’alternative, intérêt public majeur) et les modalités d’application.

Adoption des mesures restrictives (juin 2025)

Le 19 juin 2025, la Commission a adopté un règlement d’exécution imposant des mesures restrictives à l’encontre des DM originaires de Chine dans les marchés publics.

Les mesures adoptées prévoient la limitation ou l’exclusion de l’accès des opérateurs et DM chinois aux marchés publics de l’UE.

Mesures restrictives adoptées

Nature et portée des mesures

Les mesures s’appliquent aux marchés publics de DM dépassant le seuil de 5 M€. Elles consistent en l’exclusion des offres provenant de Chine ou en un ajustement défavorable de leur notation (jusqu’à 50 % de réduction du score).

Par ailleurs, la part de sous-traitance ou de fourniture de biens et services issus de Chine ne peut excéder 50 % du montant total du marché.

Pour les groupements d’entreprises, la mesure s’applique si la part chinoise dépasse 15 % de la valeur de l’offre, sauf si cette part est indispensable pour satisfaire un critère de sélection principal.

Modalités d’application

Les autorités contractantes sont tenues de vérifier l’origine des dispositifs médicaux lors de la passation des marchés concernés.

Les procédures d’appel d’offres doivent intégrer ces restrictions conformément au règlement IPI. En cas de doute, les acheteurs publics peuvent exiger des preuves sur l’origine des dispositifs et des services associés.

Concernant les modifications substantielles de marchés existants, les mesures s’appliquent si ces modifications entraînent un dépassement des seuils ou une augmentation de la part de dispositifs médicaux chinois au-delà des limites fixées.

Dans le cas de marchés publics conjoints, la part cumulée de dispositifs médicaux chinois est prise en compte pour l’application des mesures.

Exemptions

Les autorités contractantes peuvent demander à ne pas appliquer les mesures restrictives en cas d’absence d’alternative économiquement ou techniquement viable, ou pour des raisons d’intérêt public majeur, telles que la santé publique ou l’urgence sanitaire. Les exemptions pour raisons d’intérêt public peuvent être limitées dans le temps ou assorties de conditions spécifiques imposées par la Commission.

Une exemption automatique s’applique à certains pays en développement, sauf en cas de contournement avéré.

Non-respect des mesures

En cas de non-respect des mesures, des sanctions administratives peuvent être appliquées, telles qu’une pénalité de 10 à 30 % de la valeur du marché ou l’exclusion temporaire de futurs marchés publics.

La Commission peut également étendre l’application des mesures en cas de contournement via des filiales ou des intermédiaires dans des pays tiers non visés.

Conséquences pratiques pour les parties prenantes

Impact pour les opérateurs économiques

Les opérateurs économiques, qu’ils soient établis dans l’UE ou dans des pays tiers, sont directement concernés par les mesures restrictives adoptées dans le cadre de l’IPI.

Les entreprises proposant des dispositifs médicaux d’origine chinoise sur les marchés publics européens risquent l’exclusion de leurs offres ou une réduction significative de leur notation.

Les opérateurs doivent adapter leurs chaînes d’approvisionnement, diversifier leurs sources et anticiper des contrôles renforcés sur l’origine des produits.

Obligations des acheteurs publics

Les acheteurs publics ont la responsabilité de vérifier l’origine des dispositifs médicaux et des opérateurs économiques lors de la passation des marchés concernés.

Ils doivent appliquer les mesures restrictives prévues par le règlement d’exécution, notamment l’exclusion ou l’ajustement de score des offres concernées, et contrôler le respect du seuil de 50 % pour la sous-traitance et la fourniture de biens et services d’origine chinoise.

Les acheteurs publics doivent également intégrer des clauses spécifiques dans les documents de consultation et peuvent exiger à tout moment des preuves d’origine auprès des soumissionnaires.

Preuve d’origine et contrôle

Les opérateurs économiques doivent fournir des documents attestant l’origine des DM et des services associés, tels que des certificats d’origine ou des attestations de production. Les acheteurs publics peuvent exiger ces preuves à tout moment de la procédure, y compris lors de l’exécution du marché.

Des contrôles sont prévus pour prévenir le contournement des mesures, notamment en cas de réétiquetage, de transbordement ou de fractionnement artificiel des marchés.

Cas particuliers et situations spécifiques

Marchés publics conjoints transfrontaliers

  • Les marchés publics conjoints impliquant plusieurs États membres de l’UE, ou des entités telles que des groupements hospitaliers transfrontaliers, sont également soumis à l’IPI.
  • L’évaluation de la part de dispositifs médicaux d’origine chinoise se fait sur l’ensemble du marché, indépendamment de l’État membre pilote ou du lieu d’exécution principal.

DM composés de sous-ensembles et traçabilité de l’origine

  • Les DM composés de sous-ensembles ou de composants de différentes origines nécessitent une traçabilité précise. L’origine du produit est déterminée selon les règles douanières de l’UE (règle de l’origine non préférentielle).
  • Les opérateurs économiques doivent fournir des preuves documentaires, telles que certificats d’origine, factures ou déclarations fournisseurs, pour chaque composant significatif.
  • En cas de reconditionnement ou d’assemblage final dans l’UE, l’origine peut être contestée si la transformation n’est pas substantielle au sens douanier.

Marchés en lots

  • Pour les marchés publics divisés en lots, l’IPI s’applique lot par lot si le seuil de 5 M€ est atteint pour un lot donné. Un lot contenant majoritairement des dispositifs d’origine chinoise peut être exclu ou subir un ajustement de score, même si d’autres lots ne sont pas concernés.
  • Les soumissionnaires doivent détailler l’origine pour chaque lot, y compris pour les lots en dessous du seuil si la valeur cumulée dépasse 5 millions d’euros.

Conclusion

L’application de l’IPI dans le secteur des DM s’inscrit dans un contexte de déséquilibre persistant entre l’ouverture des marchés publics européens et les pratiques restrictives observées dans certains pays tiers, en particulier la Chine.

L’enquête menée par la Commission européenne a mis en évidence des pratiques discriminatoires systématiques sur le marché chinois des dispositifs médicaux. En réponse, l’UE a adopté des mesures restrictives ciblées. Les opérateurs économiques et les acheteurs publics doivent désormais intégrer ces nouvelles obligations.

La mise en œuvre s’accompagne de défis opérationnels, notamment en matière de traçabilité de l’origine, de gestion des marchés mixtes et de prévention des contournements via des filiales ou des chaînes d’approvisionnement complexes.