MDCG 2025-9 : Dispositifs Innovants (BtX) – Accélérer l’Accès aux Patients
Décembre 2025 marque une étape importante pour l’innovation médicale en Europe : la publication du guide MDCG 2025-9 sur les dispositifs innovants (breakthrough devices ou BtX). L’objectif ? Permettre un accès patient plus rapide sans sacrifier la sécurité. L’enjeu : trouver le juste équilibre entre innovation thérapeutique et rigueur scientifique.
1. Champ d’application et définitions des dispositifs innovants (BtX)
Le guide MDCG 2025-9 s’applique aux dispositifs médicaux (MDR 2017/745) et aux dispositifs médicaux de diagnostic in vitro (IVDR 2017/746) qui peuvent être qualifiés de dispositifs innovants, dits Breakthrough devices (BtX).
Il couvre toutes les classes de risque et toutes les technologies (implants, logiciels, IA, IVD de dépistage ou de confirmation, etc.), dès lors qu’elles relèvent du champ des règlements.
En revanche, certains produits sont explicitement exclus du périmètre BtX : dispositifs sur mesure, dispositifs « in-house » fabriqués et utilisés au sein d’un établissement de santé, ainsi que les produits de l’annexe XVI du MDR sans finalité médicale (par ex. lentilles de contact cosmétiques, équipements esthétiques)
Le guide introduit trois définitions structurantes :
| Terme | Définition synthétique |
|---|---|
| BtMD | Dispositif médical (non IVD) répondant aux critères de rupture (section 4 du guide) |
| BtIVD | Dispositif de diagnostic in vitro répondant aux mêmes critères |
| BtX | Terme générique couvrant BtMD et BtIVD |
Un dispositif innovant (BtX) est ainsi une MD ou une IVD qui, sur la base des données disponibles, est raisonnablement attendue pour offrir une option diagnostique ou thérapeutique nouvelle répondant à un besoin médical non couvert chez des patients atteints de maladies graves, mettant en jeu le pronostic vital ou invalidantes de façon irréversible, par rapport à l’état de l’art.
Cette qualification peut intervenir très en amont du développement et ne limite pas le nombre de dispositifs pouvant être désignés dans un même domaine clinique.
2. Critères de désignation des dispositifs innovants (BtX)
Pour être désigné Breakthrough device (BtX), un dispositif doit satisfaire simultanément deux critères cumulatifs :
- nouveauté et
- impact clinique positif significatif pour des maladies graves, en tenant compte de l’état de l’art et des alternatives disponibles.
2.1. Critère de nouveauté
La nouveauté ne se limite pas à un « gadget technologique ». Le guide vise une innovation de haut degré, pouvant porter sur :
- la technologie (nouveaux matériaux, design, procédé de fabrication, mécanisme d’action, IA/algorithmes),
- la procédure clinique (nouvelle approche diagnostique ou thérapeutique),
- une nouvelle application clinique d’une technologie existante (nouvelle indication, nouvelle population, nouveau contexte d’utilisation).
Le fabricant doit démontrer en quoi le dispositif se distingue clairement de l’état de l’art, et pourquoi cette différence est cliniquement pertinente (et pas seulement commerciale ou ergonomique).
2.2. Critère d’impact clinique positif significatif
Le dispositif doit être raisonnablement attendu pour apporter un bénéfice clinique majeur pour des maladies mettant en jeu le pronostic vital ou invalidantes de façon irréversible.
L’évaluation se fait :
- par rapport aux alternatives existantes (ou à leur absence),
- en intégrant bénéfices attendus et risques prévisibles,
- au niveau individuel (patient) et populationnel (santé publique).
Le guide distingue notamment :
| Dimension | Exemples d’arguments recevables |
|---|---|
| Patient | Amélioration de la survie, réduction d’événements graves, meilleure qualité de vie, diminution de la morbidité liée au traitement |
| Santé publique | Impact sur des menaces sanitaires majeures, réponse à des urgences, gains de capacité/efficience du système de soins, meilleure accessibilité à un standard de soin |
En l’absence d’alternatives satisfaisantes, le fabricant doit caractériser le besoin médical non couvert et expliquer comment le dispositif y répond.
2.3. Niveau de preuve attendu au moment de la désignation
Pour la désignation BtX, un jeu de données complet n’est pas exigé. Le fabricant doit toutefois fournir un faisceau d’indices cohérent permettant de soutenir une attente raisonnable de succès clinique :
- données précliniques (banc, in silico, animal, essais de performance),
- données de validité scientifique (littérature, guidelines, preuves de concept),
- données cliniques ou de performance préliminaires, le cas échéant.
Le MDCG insiste sur la prise en compte de la totalité des informations disponibles (fonction, probabilité de succès technique, probabilité de succès clinique, profil bénéfice/risque anticipé) et sur une justification explicite de la significativité de l’impact attendu, sans exiger à ce stade le niveau de preuve requis pour le marquage CE.
3. Exigences d’évaluation préclinique, clinique et de performance
Le MDCG 2025-9 ne crée pas un « régime clinique allégé » pour les BtX : il réaffirme les exigences MDR/IVDR, mais accepte une répartition différente des preuves entre pré‑ et post‑commercialisation, à condition que le rapport bénéfice/risque reste acceptable et que le plan de collecte de données post‑marché soit solide.
3.1. Préclinique et non‑clinique
Pour des technologies de rupture, le guide attend un socle préclinique renforcé : preuves de sécurité biologique, essais de performance technique/analytique, tests bancs, modélisation in silico, essais de robustesse logicielle, validation de fabrication et évaluation de l’ergonomie et de l’utilisabilité. Pour les dispositifs IA, la qualité des données d’entraînement, la gestion des biais et la gouvernance du cycle de vie doivent être documentées en cohérence avec le MDR/IVDR et l’AI Act.
3.2. Évaluation clinique (BtMD) et de performance (BtIVD)
Le fabricant doit démontrer, via un plan d’évaluation clinique/performance structuré, que les données disponibles permettent déjà de conclure à un bénéfice/risque acceptable, tout en reconnaissant une incertitude résiduelle. Le guide encourage des designs d’étude adaptatifs ou séquentiels, l’usage justifié de critères de substitution et de PROs, et un choix de comparateur aligné sur l’état de l’art (ou, en son absence, sur la meilleure prise en charge disponible).
Pour les IVD, les trois piliers validité scientifique – performance analytique – performance clinique doivent être couverts de façon cohérente.
Pour les logiciels/IA, la triade valid clinical association – performance technique/analytique – performance clinique de MDCG 2020‑1 est reprise et appliquée aux BtX.
3.3. Gestion de l’incertitude et articulation avec le post‑marché
Le guide admet que, pour un BtX, certaines questions (durabilité de l’effet, rare events, sous‑populations) soient principalement documentées en post‑marché, via un PMS/PMCF/PMPF intensifié (registres, RWD, études de cohorte, surveillance renforcée).
Cette flexibilité n’est acceptable que si :
- les risques graves sont suffisamment caractérisés avant le marquage CE,
- les incertitudes résiduelles sont clairement identifiées et
- les activités post‑marché sont dimensionnées pour y répondre dans des délais compatibles avec la protection de la santé publique.
4. Volet procédural et rôles des acteurs pour les BtX
Le MDCG 2025-9 – volet procédural – organise un parcours spécifique pour les BtX, sans créer un nouveau régime juridique, mais en orchestrant différemment les outils MDR/IVDR et les acteurs.
4.1. Chemin de désignation et d’accompagnement
Le point d’entrée est la demande d’avis de statut BtX auprès des panels d’experts (art. 106 MDR).
Le fabricant peut déposer le dossier à tout stade du développement, dès qu’il dispose d’éléments suffisants pour documenter les critères de la section 4 (nouveauté + impact clinique).
Les panels s’engagent à rendre un avis dans un délai cible de 60 jours, avec priorisation des demandes BtX. Une fois l’avis positif rendu, le dispositif est « BtX désigné » et peut bénéficier d’un accès anticipé aux conseils scientifiques et à une priorisation des évaluations.
Pour les classe III implantables et certains IIb actifs administrant un médicament, le guide souligne l’intérêt des Joint Scientific Consultations ExP/HTACG : les BtX sont considérés comme des candidats « naturels » à ces procédures parallèles, permettant d’aligner très tôt exigences réglementaires et attentes HTA.
4.2. Rôle des panels d’experts
Les panels ne se limitent pas à la désignation : ils fournissent un conseil scientifique précoce sur la stratégie de données (préclinique, clinique/performance, PMS) et interviennent, le cas échéant, dans la CECP. Leur avis sur le statut BtX est transmis au MDCG par le secrétariat, ce qui ancre la désignation dans une gouvernance européenne coordonnée.
4.3. Rôle des organismes notifiés
Les organismes notifiés (ON) doivent prioriser les dossiers BtX, organiser un dialogue structuré avec le fabricant (clarification des attentes, itérations sur le plan d’évidence) et peuvent délivrer des certificats assortis de conditions : PMCF/PMPF renforcé, jalons de réévaluation, surveillance accrue.Ils restent responsables de la vérification de la conformité (y compris de la mise en œuvre des conditions) et de l’activation de mesures correctives (suspension/retrait du certificat) en cas de non-respect.
4.4. Rôle des autorités compétentes nationales
Les autorités compétentes (AC) sont invitées à faciliter le développement des BtX : priorisation des autorisations d’investigations cliniques/performance, mise en place de guichets innovation, suivi de la pratique des ON (notamment pour la prise en compte des intérêts des PME). Elles sont aussi des relais clés vers les mécanismes de financement nationaux/UE et participent à la cohérence globale du dispositif avec les politiques de santé publique.
En synthèse, le parcours BtX repose sur une coordination renforcée ExP–ON–AC, des délais encadrés et une priorisation explicite des ressources, afin de transformer la désignation BtX en accélérateur concret de mise à disposition tout en gardant la main sur le niveau d’incertitude acceptable.
5. Transparence, surveillance post‑marché et mécanismes de soutien
La logique BtX repose sur un pacte explicite : en échange d’une mise sur le marché plus rapide avec une part d’incertitude résiduelle plus élevée, le fabricant accepte une surveillance post‑marché renforcée et une transparence accrue vis‑à‑vis des autorités, des professionnels et des patients.
5.1. Transparence et communication publique
Le guide impose une visibilité claire du statut BtX tout au long du cycle de vie :
- EUDAMED doit refléter la désignation BtX, l’état de certification, les études cliniques/performance et les principales activités PMCF/PMPF.
- Les documents destinés aux utilisateurs (étiquetage, IFU, SSCP/SSP) doivent expliquer de façon proportionnée la nature innovante, le niveau d’évidence disponible et les questions encore ouvertes couvertes par le suivi post‑marché.
- La Commission prévoit un dashboard public recensant les BtX, leur statut réglementaire et, à un niveau agrégé, les informations clés de sécurité/performance.
Cette transparence vise à outiller la décision clinique et à éviter que le statut BtX soit utilisé comme argument marketing déconnecté du niveau réel de preuve.
5.2. PMS, PMCF/PMPF et surveillance renforcée
Pour les BtX, le PMS n’est pas un simple « monitoring » : c’est un prolongement structuré du développement clinique. Le MDCG 2025‑9 attend :
- des plans PMS et PMCF/PMPF surdimensionnés par rapport à un dispositif standard de même classe, ciblant explicitement les incertitudes identifiées en pré‑marché (durabilité de l’effet, sous‑populations, événements rares, performance en vie réelle, biais algorithmiques pour l’IA, etc.) ;
- un recours systématique aux données du monde réel (registres, bases nationales, données de routine, real‑world performance pour les logiciels) avec des méthodologies robustes ;
- une interaction rapprochée avec l’ON : les certificats BtX peuvent être assortis de conditions (jalons de revue clinique, études obligatoires, seuils de tolérance de risque) dont le non‑respect peut conduire à une suspension ou un retrait.
Les rapports PMS/PSUR et les mises à jour de CER/PER doivent démontrer que le niveau d’incertitude diminue effectivement dans le temps et que le rapport bénéfice/risque reste acceptable.
5.3. Mécanismes de soutien et financement
Le MDCG 2025‑9 cartographie les leviers de soutien disponibles pour les BtX, en particulier pour les PME :
| Niveau | Mécanismes clés |
|---|---|
| UE | Programmes type EU4Health, Horizon Europe, EIC Accelerator, InvestEU, soutien EEN pour le partenariat et l’internationalisation |
| États membres | Fonds innovation santé, appels à projets hospitaliers, dispositifs de prise en charge précoce, guichets uniques réglementaires |
Les ON sont invités à appliquer des conditions contractuelles équitables (délais, transparence des attentes, prévisibilité des coûts) pour éviter que la voie BtX ne soit réservée qu’aux grands industriels. Au final, le guide positionne les BtX comme un instrument de politique publique : accélérer l’accès à l’innovation tout en rendant compte publiquement de la façon dont l’incertitude est gérée et résorbée au fil du temps.
Conclusion
En définitive, le MDCG 2025‑9 ne crée pas une « voie royale » dérogatoire, mais un cadre structuré pour gérer consciemment plus d’incertitude en amont lorsque l’enjeu clinique le justifie, en échange d’un socle préclinique/clinique solide, d’un PMS/PMCF/PMPF adatpté et d’une transparence renforcée vis‑à‑vis des professionnels et des patients.
En articulant clairement critères de rupture (nouveauté + impact clinique significatif), exigences d’évidence (pré‑ et post‑marché) et parcours procédural coordonné ExP–ON–AC, le guide transforme la notion de « breakthrough device » en instrument opérationnel de politique de santé : accélérer l’accès à des technologies potentiellement transformatrices pour des maladies graves, tout en maintenant un niveau d’exigence élevé sur le bénéfice/risque, la traçabilité des décisions et la redevabilité publique.
Pour les fabricants – en particulier les PME – l’enjeu est désormais de saisir cette fenêtre d’opportunité en structurant très tôt leur stratégie de données et de dialogue réglementaire, faute de quoi le label BtX restera un concept théorique plutôt qu’un véritable levier d’accès au marché.