Affaire PIP : suite du feuilleton

Par Guillaume Promé
le
5 Mar. 2020 Veille gratuite

Le 27 février, la Cour fédérale de justice allemande a statué sur les conditions légales de responsabilité de l’organisme notifié liées au cas de patients ayant subi des dommages causés par des implants mammaires en silicone de la société française Poly Implant Prothèse (PIP).

La Cour a conclu qu’il n’y avait pas de responsabilité contractuelle, mais une responsabilité extra-contractuelle de l’organisme notifié.

Le communiqué de presse de la Cour fédérale allemande est disponible ici, il est repris en partie ci-dessous.

 

La Cour fédérale de justice s’est prononcée sur les conditions juridiques de la responsabilité de l’organisme notifié envers les patients pour les conséquences de l’utilisation d’implants mammaires en silicone de la société française Poly Implant Prothèse (PIP), conformément à la loi sur les dispositifs médicaux harmonisée en vertu du droit communautaire.

Selon cette décision, l’organisme notifié n’est pas responsable contractuellement, mais est responsable en matière de responsabilité délictuelle.

Les faits de l’affaire

La requérante, une compagnie d’assurance maladie, prétend qu’elle a pris en charge les coûts des opérations de révision sur des patientes bénéficiant de l’assurance maladie obligatoire et ayant été équipées d’implants mammaires en silicone fabriqués par le PIP. Elle demande, par voie de subrogation, le remboursement de ces frais à la partie défenderesse qui, de 1997 à 2010, a participé, en tant qu’organisme notifié de PIP, à la procédure d’évaluation de la conformité de l’UE à effectuer par le fabricant conformément à l’annexe II de la directive 93/42/CEE.

De 1997 à 2010, le défendeur, en tant qu’organisme notifié, a procédé à l’évaluation du système d’assurance qualité et à l’examen de la DT de PIP.

En mars 2010, l’ANSM a déterminé que la matière première effectivement destinée aux implants n’y était pas utilisée, mais que le silicone industriel n’était pas agréé pour le corps humain. Les enquêtes ont révélé que, avant les inspections des autorités françaises et les audits de la défenderesse, la PIP avait modifié le procédé de fabrication pour passer au procédé certifié utilisant le silicone agréé et avait dissimulé toute référence à l’utilisation de silicone industriel. PIP a déposé son bilan en 2011 et a été liquidé.

Le demandeur demande au défendeur de lui verser une somme plus les intérêts, elle demande une déclaration selon laquelle le défendeur est tenu de réparer d’autres dommages, même dans la mesure où les assurés qui n’ont pas encore été notifiés sont concernés.

État d’avancement du procès jusqu’à présent

Le procès a échoué dans les deux instances inférieures. L’appel ayant été accueilli par la Cour régionale supérieure, le demandeur continue à poursuivre sa demande.

La Cour régionale supérieure a estimé que ni le fondement contractuel ni le fondement délictuel de la demande ne pouvaient être pris en considération. Selon cet avis, si la responsabilité du défendeur est exclue d’emblée pour des raisons juridiques, il importe peu que le défendeur puisse être accusé de manquements à ses obligations dans le cadre de l’examen et de la certification du système d’assurance qualité et de la documentation relative à la conception, car les obligations éventuelles envers les assurés du demandeur n’existaient de toute façon pas.

Décision de la Cour fédérale de justice

  1. Le VIIe Sénat civil de la Cour fédérale de justice a annulé le jugement contesté et renvoyé l’affaire devant la Cour d’appel pour une nouvelle audience et une nouvelle décision.
  2. Dans son précédent arrêt du 22 juin 2017 le VIIe Sénat civil avait, sur la base d’un renvoi préjudiciel à la Cour de justice de l’Union européenne et de son arrêt ultérieur du 16 juin 2017, renvoyé l’affaire devant la Cour d’appel pour une nouvelle audience et une nouvelle décision.
  3. Sur la base d’une demande de décision préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne et de son arrêt ultérieur du 16 février 2017  le VIIe Sénat civil avait laissé ouverte la question de savoir si l’organisme notifié pouvait être tenu pour responsable contractuellement ou délictuellement du tout vis-à-vis des patients qui se sont fait poser des implants PIP. Dans l’affaire en cause à l’époque, la responsabilité du défendeur a été exclue en tout état de cause sur la base des conclusions pertinentes en vertu du droit des recours pour manquement à une obligation.

Dans l’affaire jugée aujourd’hui, la Cour d’appel n’avait toutefois pas conclu à un manquement des défendeurs, mais avait déjà rejeté leur responsabilité pour des raisons juridiques.

La question des conditions juridiques de la responsabilité de l’organisme notifié a donc nécessité une décision à ce sujet. Le VIIe Sénat civil a maintenant tranché cette question en indiquant que la Cour d’appel a de toute façon refusé à tort la possibilité d’une responsabilité délictuelle pour des raisons juridiques uniquement.

Mais finalement, la Cour d’appel a supposé à juste titre qu’une responsabilité du défendeur selon les principes d’un contrat à effet protecteur est exclue en faveur des tiers parce que les conditions légales pour l’inclusion des assurés du demandeur dans le champ de protection du contrat de certification conclu entre PIP et le défendeur ne sont pas remplies.

Même si l’on peut supposer que le fabricant d’un dispositif médical a généralement un intérêt à ce que personne ne soit lésé par ses produits, cette considération générale ne permet pas de conclure que, du point de vue de PIP :

  • l’accord de certification avec la défenderesse avait pour but de protéger les futurs patients des risques sanitaires des dispositifs médicaux fabriqués par PIP.
  • la procédure d’évaluation de la conformité de l’UE n’a pas pour tâche de le protéger vis-à-vis des patients ou d’étendre ses possibilités de recours contre l’organisme notifié en cas de produits défectueux, mais sert à ouvrir l’accès au marché pour le fabricant, à l’instar d’une procédure d’approbation officielle.

En outre, il n’a pas été présenté et il n’est pas évident que les assurés de la demanderesse aient pris leur décision d’insérer les implants sur la base de la performance de certification de la défenderesse.

L’activité de la défenderesse dans le cadre de la procédure d’évaluation de la conformité de l’UE n’est pas apparue au monde extérieur et n’était notamment pas reconnaissable pour les patients. Le marquage CE apposé sur les implants par le fabricant lui-même n’est pas un label de qualité spécial auquel les patients pourraient accorder une confiance accrue.

Le règlement sur la procédure d’évaluation de la conformité de l’UE qui est pertinent ici vise à protéger la santé des destinataires finaux des dispositifs médicaux en particulier ; la protection individuelle du patient est le principal objectif. La garantie de cette protection incombe non seulement au fabricant lui-même, mais aussi à l’organisme notifié. Indépendamment de sa mise en service par le fabricant, l’organisme notifié, compte tenu de ses droits et obligations tels que définis dans la directive 93/42/CEE, a une position indépendante de son client et ses activités d’essai servent non seulement le fabricant mais aussi, et surtout, les destinataires finaux des dispositifs médicaux.

Cette responsabilité délictuelle de l’organisme notifié est également raisonnable et acceptable au regard du système global de responsabilité. Le rejet d’une responsabilité délictuelle de l’organisme notifié en cas de manquement coupable à ses obligations remettrait en question le sens et l’objectif de la procédure d’évaluation de la conformité, qui, dans la conception européenne du droit des dispositifs médicaux, remplace une procédure d’approbation officielle, et en dévaloriserait la signification.

Compte tenu des risques pour la santé liés à l’utilisation de dispositifs médicaux défectueux, la création d’une demande individuelle de dommages-intérêts contre l’organisme notifié est également judicieuse pour cette raison. Afin d’éviter des incitations contraires à l’objectif de la procédure d’évaluation de la conformité, il est nécessaire que l’organisme notifié soit exposé non seulement au risque de responsabilité contractuelle envers le fabricant en cas d’essais trop stricts, mais aussi au risque de poursuites délictuelles de la part de tiers en cas d’essais négligents.

 

Suite de la procédure

Au cours de la suite de la procédure, la Cour d’appel devra déterminer si les conditions de la responsabilité délictuelle du défendeur sont par ailleurs remplies – en particulier, s’il y a eu un manquement pertinent à une obligation dans l’exercice de ses services de certification.

source : medtechEuorpe