“Implant files” : la vérité est ailleurs

Par Guillaume Promé
le
28 Nov. 2018 Généralités, Société

Cash revue de la cash enquête des « Implant Files », en restant dans le contexte général des fabricants de dispositifs médicaux, quelque peu malmenés par le consortium international de 250 journalistes d’investigation ™.

retrouvez également mon intervention dans le podcast Tech Café.

Contexte règlementaire

Un bref rappel du contexte règlementaire pour comprendre le dossier, vous pouvez passer mais ce sera plus dur de vous faire une opinion.

L’Europe règlemente

Les dispositifs médicaux (DM) sont soumis à une réglementation Européenne définie par la directive 93/42/CEE, 93 pour 1993, elle va être remplacée par le règlement (UE) 2017/745 d’ici 2020.

Cette règlementation émet des exigences en fonction de la classe des dispositifs, 4 classes sont prévues (I, IIa, IIb, III, ) elles sont proportionnelles à la dangerosité potentielle des DM.

Les implants sont de classe IIb ou de classe III, un fauteuil roulant est en classe I, un tensiomètre en classe IIa.

Les Organismes Notifiés certifient

Avant de pouvoir mettre sur le marché le fabricant doit suivre une procédure de certification, elle implique un organisme notifié dès la classe IIa.

L’organisme notifié a plusieurs rôles :

  • Contrôler la documentation technique du dispositif : les preuves de maitrise des risques et des bénéfices revendiqués, qui nécessitent des essais en laboratoire, une gestion des risques, une évaluation clinique…
  • Approuver le système qualité du fabriquant : via un audit sur plusieurs jours des activités de conception, fabrication, gestion des incidents, …
  • Surveiller le fabricant, à coup d’audits périodiques, d’audits inopinés et même d’audits trop nombreux.

Et les organismes notifiés n’ont RIEN de partenaires commerciaux dociles, les fabricants les décrivent volontiers comme des monstres assoiffés de sang de responsable qualité.

Les Autorités Compétentes enregistrent et surveillent

Une fois le marquage CE obtenu le fabriquant déclare la mise sur le marché des dispositifs, auprès des autorités compétentes.

Pendant toute la vie du dispositif le fabricant gère les incidents qui surviennent sur le terrain, des actions de vigilance sont lancées sous contrôle de l’autorité compétente.

En cas de défaillance les dispositifs sont retirés du marché. Le marquage CE peut également être invalidé par l’organisme notifié.

Les fabricants fabriquent

Un mot sur les entreprises du secteur : ce sont à 95% des PME/TPE/start-ups, parce que les sujets, les technologies et les finalités sont extrêmement variés et en perpétuelle évolution. Les acteurs sont beaucoup plus petits, nombreux et diversifiés qu’en pharma, le profil type serait une PME de 30 personnes, qui conçoit et fabrique un dispositif qu’elle a inventé.

Et ces petits fabricants n’ont pas plus de poids à Bruxelles que votre marchand de légumes ne déjeune avec le ministre de l’agriculture.

Le monde des supers géants, souvent états-uniens, est à part. Qui dit géant dit super-pouvoirs, les dérives dénoncées (lobbying, manipulation de l’opinion et des professionnels) ne sont pas propres au secteur du DM, la root cause va plus loin.

Minuscules ou géantes toutes les entreprises sont soumises aux mêmes exigences, l’équilibre doit être trouvé entre un contrôle absolu (aussi cher qu’impossible) et la viabilité des structures qui composent le secteur. Un équilibre à chercher sous l’angle du bénéfice/risque pour les patients.

Résumé des Implant Files

(un résumé créé à force de copier-coller)

« Derrière le paravent du jargon et de la complexité technique, la réglementation dérobe à la société son droit à la délibération, elle lèse l’intérêt général au profit d’intérêts particuliers. Les autorités ont laissé la réglementation des DM s’effilocher à Bruxelles au fil d’une décennie de lobbying, au nom de “l’innovation”. Les gouvernements ont confié le contrôle des dispositifs médicaux à des « organismes notifiés », des entreprises commerciales à la rigueur contestée, que les fabricants paient pour être évalués et inspectés. Et si les bénéfices de ces instruments thérapeutiques sont bien mis en avant par leurs fabricants, leurs risques demeurent, eux, maintenus dans une confortable pénombre. En l’absence de suivi rigoureux des incidents une ressource documentaire fait ainsi défaut : la cartographie des dégâts provoqués par ces outils peu, et parfois presque pas, réglementés. De timides avancées ont été un temps envisagées au niveau communautaire pour mieux protéger les patients, elles ont été sapées par un lobbying agressif, lobbying aux méthodes répugnantes. »

Notez tout de même un élan de lucidité :

« Dans un système aussi aveugle, est-on vraiment en mesure d’évaluer les bénéfices et les risques pour les patients ? »

Et là je dis en merci madame.

Tu as volé l’orange du marchand

C’est le point de départ de l’investigation :

« Une journaliste a réussi il y a deux ans à faire passer un filet de mandarines… pour un implant vaginal …qui a néanmoins rempli tous les critères pour être mis sur le marché… elle a obtenu de trois organismes de certification un accord de principe pour la délivrance d’un “marquage CE” : un sésame qui permet de vendre un implant dans n’importe quel pays de la communauté européenne. »

Il s’agit en fait de demandes d’examen, la journaliste a donné de fausses informations, les ON avaient assez de matière pour faire un devis. Le reportage fait un raccourci trompeur : un « accord de principe » n’est pas un sésame pour la mise sur le marché, c’est uniquement un feu vert pour attaquer l’examen.

Le filet de mandarine n’aurait jamais eu le CE, mais il fallait poursuivre le processus de marquage CE pour le constater.

Enregistrer n’est pas certifier

C’est la reprise française de la séquence « démonstration » de l’enquête internationale :

« Cash Investigation a tenté le pari fou de décrocher l’autorisation de l’ANSM pour une prothèse vaginale fictive… un formulaire à remplir et deux documents obligatoires à fournir, à savoir l’étiquetage du produit et sa notice d’utilisation. Un mois plus tard, la réponse arrive par mail : “… votre dossier est en attente de traitement. … Toutefois, vous n’avez pas besoin d’attendre ce document pour faire la mise sur le marché de vos dispositifs médicaux”. En France, les dispositifs médicaux n’ont pas besoin d’une autorisation de mise sur le marché, contrairement aux médicaments. L’ANSM n’est qu’une chambre d’enregistrement des implants. »

Attention à ne pas confondre enregistrement auprès des autorités compétente et certification par l’organisme notifié, il est en effet possible de présenter de faux documents à une autorité pour déclarer la mise sur le marché du dispositif.

Vous pouvez aussi montrer un faux permis de conduire à votre gendarme préféré, ou une fausse carte de journaliste à votre employeur.

Des chiffres et des lettres (d’incident)

L’enquête patauge également lorsqu’elle évoque les chiffres des incidents, qui ne distinguent pas vraiment les cas où le dispositif n’est pas en cause (les déclarations sont larges, un porteur d’implant peut décéder de cause naturelle mais il faut procéder à une investigation pour le savoir).

Ces chiffres sont également à comparer avec l’augmentation de l’utilisation des DM et l’augmentation de la pratique de signalement des incidents, qui progresse grâce à une prise de conscience des utilisateurs (mais on part de loin).

Une enquête salutaire, à une décennie près

Le constat du dossier est sans appel : la règlementation est insuffisante pour atteindre un niveau de sécurité acceptable.

Joie, des réponses sont apportées dans le règlement (UE) 2017/745 applicable dès mai 2020 et qui occupe déjà le temps de cerveau disponible des RAQ européens.

Parmi les nouveautés :

  • L’identification des dispositifs sera gérée par à la mise en place de l’IUD
  • Une base de données européenne sera disponible pour enregistrer (et consulter) les dispositifs sur le marché, acteurs, incidents et essais cliniques en cours. Notez que les droits d’accès ne sont pas encore très clairs.
  • Les implants (et les classe III) sont les plus chouchoutés par le règlement : investigation clinique systématique, rapports périodiques de surveillance, traçabilité de chaque dispositif, carte d’implant et informations fournies aux utilisateurs, contrôle des matériaux utilisés en production… le gros des nouvelles exigences concerne les implants.
  • Les devoirs, contrôles et compétences des organismes notifiés sont renforcés, les fabricants le ressentent déjà dans lors des audits.

À noter : en France une nouvelle charte encadre les pratiques de promotion des dispositifs remboursés.

Vivement le règlement (UE) 2050

Mais tout n’est pas résolu et des pistes sont pertinentes:

  • Rendre la déclaration d’incidents obligatoire, avec un système d’amende si besoin
  • Donner les moyens aux autorités compétentes pour suivre les actions de vigilance
  • Ne pas confier Eudamed aux créateurs du DMP

Je reste mitigé sur l’idée de confier le rôle des organismes notifiés aux autorités compétentes qui sont déjà largement débordées.

Bonus

Un accès à la base d’incidents mise au point pour l’occasion, c’est louable et utile pour votre veille (il manque la France, elle est ici, même si je sais qu’il a fallu batailler ferme contre l’opacité des administrations pour arracher des chiffres).